3 questions à F. Théofilakis, président du comité scientifique

Historien, maître de conférences – Paris 1 Panthéon Sorbonne, président du comité scientifique

Vous présidez le comité scientifique du futur musée.

Le principal fonds documentaire est le fonds Kennedy, donné par la fille du colonel Kennedy, commandant du camp. Comment avez-vous envisagé la recherche d’autres fonds documentaires ?

Créer un musée sur la captivité de guerre au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, c’est trouver les ressources qui permettent de raconter l’histoire de ce passé longtemps tombé dans l’oubli. Et le défi n’est pas mince : plus de dix millions de soldats de la Wehrmacht sont prisonniers après la capitulation sans condition de l’Allemagne nazie, le 8 mai 1945. Au-delà, des sociétés toutes entières sont concernées, celles qui ont détenu ces vaincus, le plus souvent pour les employer à leur reconstruction, comme celles, dans l’Allemagne occupée, qui attendent le retour d’un fils, d’un père, d’un mari, d’un travailleur, etc.

La recherche documentaire a donc été effectuée pour précisément donner à voir, à entendre et à comprendre la multitude des protagonistes impliqués dans cette histoire de la captivité. A commencer par les prisonniers eux-mêmes, de leur capture à leur libération en considérant leurs conditions de captivité ; mais aussi les autorités, militaires comme civiles, qui ont eu à les gérer, à les faire travailler, et à les « rééduquer ». Sont aussi prises en compte les familles et les communautés allemandes qui se sont mobilisées pour eux. Sans oublier les organisations humanitaires tel le Comité international de la Croix-Rouge à Genève qui ont cherché à faire respecter la Convention de 1929 en faveur des prisonniers de guerre. 

Cette multitude de points de vue nous a conduit, moi et les étudiants que je dirige dans les archives des organisations internationales pour comprendre les interventions humanitaires et leurs effets ; dans les archives nationales qui donnent la mesure des solutions trouvées à ce que l’on appelait alors le « problème PG » (prisonnier de guerre) ; dans les archives locales qui documentent, au plus près, l’application des décisions ainsi que les contacts entre captifs et populations alentours. Enfin, une grande attention a été portée aux témoignages produits par les prisonniers, que l’on trouve dans les archives publiques comme privées.

Cette recherche documentaire – initiée avec le projet de musée et destinée à se poursuivre après son ouverture – se déploie donc bien au-delà du cadre national pour considérer comment les Européens sont sortis de la guerre, comment ces Allemands sont éventuellement sortis du nazisme et quelles traces cette captivité a pu laisser dans nos sociétés. 

Comment avez-vous procédé pour sélectionner et rechercher les archives concernant d’autres camps de prisonniers allemands en Europe ?

Faire de la captivité le cœur de cette histoire européenne supposait d’adopter une démarche comparative : celle qui part du CCPWE19, ouvert par les Américains entre Foucarville et Ravenoville, mais pour la mettre en regard avec d’autres camps de prisonniers dans l’Europe de la seconde moitié des années 1940. La comparaison permet en effet de travailler sur les similarités et les différences, de souligner en retour les spécificités de chaque situation avant d’en chercher les causes. Outre cet avantage pédagogique, la comparaison met aussi en scène la diversité des solutions apportées à une même question par les États et les sociétés qui détiennent de prisonniers allemands : Que faire des vaincus ? Comment les traiter ? 

Que faire des vaincus ?
Comment les traiter ?

C’est pourquoi j’ai retenu trois autres camps sur une ligne allant du Royaume-Uni à l’URSS : un camp en mains britanniques au Royaume-Uni dans un pays qui n’a pas connu d’occupation allemande mais reste marqué en 1945 par l’expérience de la campagne d’Angleterre et des destructions du « Blitz » ; un camp en mains françaises dans une France certes à la table des vainqueurs mais qui sort exsangue de l’expérience d’occupation et considère plus que jamais l’Allemagne comme une menace ; enfin un camp en mains polonaises dans une société terriblement meurtrie par l’occupation nazie, un État reconstitué après 1945 et un régime sous influence soviétique. Amener les visiteurs à évoluer entre quatre camps de prisonniers allemands offrira l’opportunité de questionner et de déconstruire les représentations associées à la figure du vaincu, comme nazi, comme occupant, mais aussi comme travailleur, voire comme camarade.

Les visiteurs pourront, au gré des salles, comprendre que les régimes de captivité ont pu dépendre des conditions locales mais aussi des représentations de l’Allemagne héritées du conflit, ou encore de considérations géopolitiques entre Grande Alliance et début de la guerre froide. Les différents camps offriront enfin aux visiteurs autant de voies d’entrée pour relier l’histoire racontée dans le futur musée à ce qu’ils ont entendu dans leur famille comme à ce que leur histoire nationale a véhiculé.

Quelles sont les partenariats que vous souhaitez mettre en place afin de développer les fonds d’archives pour préparer d’éventuelles expositions temporaires dans l’avenir ?

Le projet du musée n’est pas seulement novateur par le thème qu’il aborde et les perspectives qu’il embrasse mais aussi par les partenariats qu’il cherche à mettre en place : en associant dès sa conception de grandes institutions, françaises comme internationales, nous faisons le pari que l’histoire de la captivité liée à la Seconde Guerre mondiale ne peut s’écrire, au XXIe siècle, qu’avec le concours d’institutions qui conservent le point de vue des protagonistes de la captivité. Nous avons donc sollicité les Bundesarchiv en Allemagne, le Comité international de la Croix-Rouge en Suisse, la National Archives and Records Administration aux Etats-Unis, ou encore le Service historique de la Défense en France. Tous ont répondu favorablement.

Ces partenariats sont la promesse de bénéficier d’expertises mondialement reconnues comme de ressources archivistiques foisonnantes. Ils permettent d’envisager, dès maintenant, un riche programme d’expositions temporaires, qui prolongera certaines thématiques et interrogations des salles permanentes et ouvrira la captivité à un traitement contemporain, par exemple en considérant des conflits actuels.

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